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Le fantasme des riches étrangers se faisant soigner en France

Le fantasme des riches étrangers se faisant soigner en France

Des princes du pétrole et leurs mallettes de billets jusqu’à l'»invasion» des Britanniques, le tourisme médical en France alimente bien des fantasmes. Et pour les soignants se conjuguent la fierté d’un savoir-faire reconnu et la crainte d’être «sponsorisés par le Qatar».

Si les séjours des Bouteflika, Arafat ou autres chefs d’Etat se font le plus souvent dans les discrets hôpitaux militaires, le commun des VIP s’oriente vers les hôpitaux civils.

Et certains patients créent la polémique. «Est-ce que le service public de santé doit être comme une équipe de foot, sponsorisée par le Qatar? L’hôpital n’est pas une boîte à fric!», entend-on encore gronder quelques mois après «l’affaire de l’émir d’Ambroise-Paré».

Traité dans cet hôpital des Hauts-de-Seine au printemps, ce patient «est arrivé avec un cortège de voitures, a bloqué tout un étage, s’est fait livrer sa nourriture», exigé des travaux de rénovation, «une histoire de dingue», raconte le Dr Loïc Capron, de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Sans être émir, des étrangers viennent se faire soigner en France à la recherche de «compétences et de prestations qu’ils ne trouvent pas chez eux», essentiellement en chirurgie, oncologie, greffe, hématologie, explique-t-on aux Hospices civils de Lyon qui accueillent un nombre d’étrangers payant «stable depuis 5 ans», soit 700 séjours annuels sur 180.000.

L’AP-HP n’en comptabilisait que 2.300 en 2010, dont un millier pour des patients venus du Maghreb et du Proche Orient.

Difficile parmi les rares chiffres disponibles de distinguer les patients venus pour des soins programmés et ceux tombés malades au cours d’un séjour en France.

En 2013, la facture des soins délivrés à des Européens avoisinait le milliard d’euros (plus du quart pour des ressortissants du Royaume-Uni). Parmi la quarantaine de pays liés par des accords avec la France, l’Algérie et Andorre cumulaient à eux deux plus de la moitié des créances (près de 3,3 millions d’euros).

«Il y a une augmentation du tourisme médical dans le monde. Certains pays du sud (Singapour, Thaïlande, Inde) développent des offres de soin de bonne qualité. Leur cible: une patientèle attirée par des coûts plus faibles», souligne l’économiste Pierre-Yves Geoffard.

«La stratégie de la France n’est évidemment pas de viser une stratégie de coûts faibles, parce que le coût des soins est essentiellement déterminé par le coût du travail (75% de la facture hospitalière). Les patients viennent vraiment chercher de la qualité des soins sur des traitements particuliers. Ce qui compte c’est de développer des filières d’excellence en ciblant la qualité des soins et de l’hébergement».

Le secteur public caresse l’idée de renflouer un peu les caisses grâce au tourisme médical, mais sans grand succès pour le moment. Ainsi, l’ambition de l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris, ouvert en 2001, était d’accueillir la crème des médecins français pour des patients aisés. Moquette et baignoires avaient même été installées dans une aile de cardiologie, mais le tout, inadapté, est resté longtemps fermé, et l’hôpital est devenu un hôpital comme les autres, se souvient un aide-soignant.

L’AP-HP s’est appuyé un temps sur une société libanaise pour faire du charme aux patients du Golfe, chinois ou russes, mais l’accord signé en 2012 a été cassé un an plus tard. Pour autant, Martin Hirsch, directeur de l’AP-HP, n’abandonne pas l’objectif d’accueillir 1% de patients étrangers aisés, qui pourraient rapporter 8 millions d’euros en 2014.

La réputation et le carnet d’adresses des médecins restent la meilleure publicité des hôpitaux publics. Publicité que le projet de loi Macron devrait renforcer avec la possibilité pour les CHU de créer des filiales pour développer leur expertise à l’international.

Reste à convaincre les équipes médicales et soignantes, très attachées à l’égalité d’accès aux soins.

– ‘Comme au souk, tout se négocie’ –

«En France c’est quand même notre fierté d’accueillir tout le monde à l’hôpital public mais sur un pied d’égalité», rappelle Bernard Granger, médecin à l’AP-HP.

Déjà, le système «peut devenir détestable» avec «des médecins qui chouchoutent» ces patients aisés et des «personnels qui font du rab pour avoir des billets» en récompense, raconte un aide-soignant.

Mais les passe-droits ne sont pas l’apanage des patients internationaux. Les patients français aisés eux aussi utilisent les filières de l’activité privée à l’hôpital public, où exercent les stars du bistouri.

Or, l’omerta règne sur les tarifs qui y sont pratiqués. «C’est comme au souk, tout se négocie», assure un médecin qui comme beaucoup d’autres évoque «les attachés-cases remplis de billets».

Le tarif Sécu est appliqué aux Européens et ressortissants de pays liés à la France par des conventions. Le budget de la Sécu 2012 prévoyait la possibilité de facturer plus aux étrangers non couverts par un régime obligatoire d’assurance maladie. Le décret d’application n’est jamais paru.

Les majorations sont donc variables: 30% à l’AP-HP, «au-delà» dans le privé.

– ‘Une culture d’accueil’ dans le privé –

Plus à l’aise, les structures privées affichent la couleur avec des sites multilingues.

«On a une culture de l’accueil des patients étrangers, qui viennent du Golfe, Koweït et Arabie Saoudite, relativement ancienne», explique le directeur général adjoint de l’institut Gustave-Roussy, Charles Guépratte.

Sélectionnés et soignés, en fonction des lits disponibles, pour des formes rares ou avancées de cancer, environ 500 patients étrangers sont accueillis chaque année (sur un total de 40.000). L’établissement vise 15 millions d’euros de chiffre d’affaires sur 2014 pour ces patients (hors UE et aide médicale d’Etat).

«Ces patients ne paient pas eux-mêmes leurs soins, mais sont garantis par des Etats qui considèrent qu’ils n’ont pas les infrastructures sur place pour prendre en charge ces patients», précise M. Guépratte.

Entre les touristes japonais en dialyse et les patients de la péninsule arabique venus pour la renommée de ses chirurgiens, la clinique de l’Alma, près de la Tour Eiffel, ambitionne de faire passer de 5 à plus de 10% le chiffre d’affaire lié ces patients, notamment grâce à des chambres et une restauration haut standing, avec Lenôtre comme fournisseur.

Mais là encore, la notoriété des médecins est la principale carte de visite, la clinique n’en est qu’au stade «des contacts» avec des sociétés de marketing, encore rares en France.

L’une d’elles, France-surgery, «conciergerie médicale», met en relation patients, cliniques privées et organismes touristiques, explique sa cofondatrice Carine Hilaire.

«Il ne s’agit pas de faire du low-cost ou de créer une filière VIP» mais de répondre aux besoins d’une patientèle qui n’a pas toujours les moyens de s’offrir des soins dans son pays d’origine, à l’instar des Américains. Ces partenariats sont «encore un peu tabou» dans le public, regrette Mme Hilaire.

Moins frileux, l’hôpital de Calais voudrait, en plus des patients anglais de passage, attirer «des touristes» pour des opérations programmées. Pour ce faire, il vient de lancer une campagne de publicité dans la presse locale du Kent et chez les médecins généralistes, selon le directeur de l’hôpital Martin Trelcat.

Le patient britannique arrivera avec un formulaire signé de son médecin traitant, sorte d’entente préalable du service de santé britannique auquel l’hôpital de Calais enverra ensuite la facture. De quoi éviter les impayés.

– ‘Des ardoises de plusieurs millions’ –

Car les créances irrécouvrables pèsent souvent lourd pour des hôpitaux souvent en déficit: 60 millions sur 5 ans à l’AP-HP, un million d’euros à Lyon.

L’Algérie est l’un des mauvais payeurs, explique un administrateur. Tout se passe bien pour les salariés et fonctionnaires algériens couverts par un accord de sécurité sociale avec la France, qui demandent une entente préalable. Les paiements se compliquent lorsque des caisses algériennes, liées à des hôpitaux français par des accords, refusent d’acquitter leurs dettes quand le séjour s’avère plus long que prévu. Quant à ceux qui viennent sans autorisation, ils gonflent souvent les créances des hôpitaux.

Sans parler du «touriste américain tombé malade pendant son séjour. Il se fait bien soigner par l’hôpital public, son assurance signe bien toutes les garanties. Il part les mains dans les poches, et son assurance ne paye jamais», ajoute M. Capron.

Plus que ces dettes, ce sont les 760 millions de budget prévu pour les bénéficiaires de l’AME qui cristallisent les attaques de politiques. Rien qu’à l’AP-HP, elle représentait en 2011 plus de la moitié des 207 millions d’euros de prestations délivrées aux patients étrangers.

Mais soigner ces patients est une nécessité sanitaire, et «l’idée d’une arrivée massive de tous les malades du monde en France pour des soins gratuits, c’est un mythe», tranche Jean-François Corty de Médecins du monde.

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